Vous reprendrez bien un peu de fumée
Devant la menace d'une interdiction totale de fumer dans les restaurants, le patron de de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie devient le plus fervent défenseur de la loi Evin : "Nous, on prône une application stricte de la loi Evin. Cela laisse leurs prérogatives aux patrons, en charge de la faire respecter. On est pour la responsabilisation des gens, pas pour leur caporalisation."
La loi Evin a été votée en 1991 et environ 60% des établissements représentés par ce monsieur ne respectent pas la loi. Et d'un coup, comme ça, il prone la responsabilisation des patrons de restaurants pour mettre aux normes leur établissement alors qu'ils ne l'ont pas fait depuis 15 ans ! Personnellement, je trouve la ficelle un peu grosse.
"Mais il y aura deux fois moins de fumée, si les zones sont respectées." ajoute-t-il. D'une part, deux fois moins de fumée, c'est quand même toujours de la fumée et d'autre part, tout est dans ce "si".
La loi Evin a été retournée : son texte indiquait clairement qu"il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transports collectifs, sauf dans les emplacements réservés aux fumeurs." Parce que dans les faits, c'est l'inverse : des zones non-fumeurs sont vaguement aménagées parmi un espace fumeur(1).
En théorie, les petits bars ou restaurants qui ne permettent pas la séparation entre les deux zones devraient être non-fumeurs. En pratique, le patron vous explique que désolé, mais il ne peut pas faire un coin non-fumeur et que si la fumée vous gêne, vous devez changer de restaurant. Mais promis, juré, maintenant, les patrons vont être res-pon-sa-bi-li-sés.
Quant au patron des buralistes, il évoque la spécificité du bar-tabac français pour décréter qu'une interdiction est impossible en France alors qu'elle l'est en Irlande, en Norvège, en Italie, ... Je ne comprends pas bien l'argument : ce n'est pas parce qu'on peut acheter du tabac dans certains bars qu'on est obligé de le consommer sur place ; quand je fais à la pharmacie, en général je rentre chez moi avant de prendre les médicaments. Il me semble que dans les bars-tabac, le comptoir où les gens achètent leurs cigarettes n'est pas celui où ils les consomment.
Cette semaine, un député UMP a tenté de faire passer une loi pronant l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics couverts. Son groupe parlementaire ne lui a même pas accordé le droit de déposer cette loi. Combat d'arrière-garde que celui de ces députés : 56% des fumeurs et 88% des non-fumeurs seraient d'accord avec une interdiction totale. Elle est déjà appliquée dans les cinémas, les bus, les métros, les trains, les avions, ... Et la Cour de Cassation indique qu'il existe une obligation de résultat pour les entreprises en matière de protection de leurs salariés face aux risques liés au tabagisme passif. Ce qui inclut bien sûr les employés des bars, des restaurants et des discothèques qui travaillent dans une atmosphère enfumée(2).
Le Ministre de la Santé a indiqué que "le status quo n'est plus possible" et a promis de se pencher sur le problème après la remise d'un n-ième rapport, mais peut être pas avant les élections présidentielles.
En attendant, il faut encore essayer de deviner le goût et l'odeur des aliments servis au restaurant sous l'odeur âcre de la cigarette. Question : puisque le droit d'asphyxier ses voisins est admis, est-ce que je peux amener des boules puantes au restaurant ?
(1) Etude de législation comparée n°142, Sénat, janvier 2005
(2) Aux Pays-Bas où il est interdit de fumer dans les lieux publics, les restaurateurs ont obtenu une dérogation en contrepartie de l'engagement à introduire volontairement une limitation progressive de la consommation de tabac dans leurs établissements. Je ne sais pas depuis combien de temps la "limitation progressive" est en vigueur, mais pour l'instant, on a l'impression qu'elle en est au point zéro.